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« Technical leakage fallacy »

« Technical leakage fallacy »

« Technical leakage fallacy » et autres biais de raisonnement

 

La décision T 1670/07 de 2013 fait ressortir plusieurs niveaux de contre-arguments employés par la Chambre de Recours de l’OEB pour réfuter des arguments utilisés par le Demandeur pour démontrer l’existence d’un effet technique dans l’invention.
Ces contre-arguments donnent l’impression d’être utilisés à la manière de veto empêchant une discussion plus au fond, de sorte qu’il est intéressant de s’arrêter dessus pour s’interroger sur leur pertinence et/ou faiblesse, et en tirer des enseignements pratiques.

1. L’invention objet du recours

Le brevet européen EP00960904.1 objet de la décision T 1670/07 concerne la planification d’achats dans différents magasins.
L’invention consiste essentiellement en ce que l’acheteur saisit les biens/services souhaités dans un appareil mobile avant de faire ses achats, puis l’appareil mobile détermine et lui fournit – en fonction de son profil utilisateur et de ses préférences – un itinéraire d’achats suivant un ordre donné [optimal par exemple en termes de distance à parcourir ou de montant d’achats] : l’acheteur n’a plus qu’à le suivre c’est-à-dire à se rendre chez les différents vendeurs prévus dans l’itinéraire pour obtenir les biens/services souhaités.
Avant d’aller plus loin, il convient de noter que certains points de la demande de brevet n’ont pas dû faciliter la mise en évidence d’un effet technique pour la Division d’Examen.
Ainsi, le titre « Method and system of shopping with a mobile device to purchase goods and/or services » qui regroupe les deux termes « shopping » et « purchase » risque de faire inconsciemment penser à une « business method » dans l’esprit de l’Examinateur européen.
En outre, l’invention telle que résumée ci-dessus se rapproche fortement de ce qui pourrait se faire avec un simple papier et crayon par un utilisateur qui se servirait directement d’un moteur de recherche Internet et noterait sur un papier les résultats de ses recherches en termes de prix et de localisation des produits souhaités.

2. Etat de la technique considéré

L’état de la technique le plus proche de l’invention a été considéré comme étant le document WO99/30257 (D1) qui décrit un système permettant de trouver un vendeur capable d’exécuter la commande d’un client, en se basant sur la localisation de ce client.
La Chambre de Recours a considéré que la revendication 1 du brevet EP00960904.1 se distinguait de D1 par le fait que :

– (i) l’utilisateur peut obtenir des produits de différents vendeurs ;
– (ii) un itinéraire avec ordre de visite des vendeurs, qui est fonction d’un profil de l’utilisateur, est fourni à l’utilisateur.

Il convient de noter que la formulation par la Chambre de Recours de la caractéristique différenciante (i) sous forme d’un simple résultat, et ce en l’isolant des interactions techniques qui permettent d’obtenir ce résultat, nous place de facto face à une caractéristique conceptuelle qu’il est alors aisé de déclarer comme étant non technique.

3. Technical leakage fallacy

Le Demandeur a bien tenté de mettre en avant les interactions techniques entre les données relatives au groupe de vendeurs et le serveur 18, pour faire ressortir la production d’un effet technique résidant dans la sélection des vendeurs, mais la Chambre de Recours a balayé cet argument en lui collant une étiquette : « technical leakage fallacy ». Autrement dit, la Chambre de Recours considère que ce n’est pas parce que l’invention est mise en œuvre dans un environnement intrinsèquement technique (les serveurs, les téléphone mobiles…) que la technicité de cet environnement permet de conférer [automatiquement] un aspect technique à l’ensemble du procédé. C’est le « technical leakage fallacy ».
La Chambre de Recours juge ainsi que « la sélection de vendeurs n’est pas un effet technique ». Encore une fois, un énoncé aussi large que « sélection de vendeurs », en isolant une caractéristique des interactions avec son environnement technique, auto-justifie son bannissement du monde « technique ».
La Chambre de Recours considère ensuite que les interactions [relatives à la sélection de vendeurs] ne sont pas « suffisantes » pour rendre technique le processus global. Ce critère d’interactions « suffisantes » utilisé par la Chambre de Recours laisse bien évidemment songeur.
Depuis la décision T 641/00 (COMVIK) de 2002, la vraie question devrait en effet être de savoir si les caractéristiques jugées non techniques, à savoir les données relatives au groupe de vendeurs et la sélection de vendeurs utilisées ou mises en œuvre dans le système informatique, contribuent à un effet technique supplémentaire, c’est-à-dire un effet technique allant au-delà des simples effets classiques se produisant dans un système informatique.
La Chambre de Recours semble ainsi avoir pris dans sa décision T 1670/07 un raccourci, non seulement en reformulant certaines caractéristiques de manière conceptuelle, mais également en opposant à l’argumentation du Demandeur le veto « technical leakage fallacy ». Ce qui est dommage[able] car un tel raccourci qui maintient l’invention à un niveau conceptuel, empêche de creuser plus avant les potentielles implications et effets techniques des caractéristiques différenciantes de l’invention, qui pourraient faire passer ces caractéristiques de la catégorie « non technique en tant que telle » à la catégorie « non technique mais contribuant à la réalisation d’un effet technique par leurs interactions avec les autres caractéristiques techniques de l’invention » et qui devraient dès lors être prises en compte pour l’appréciation de l’activité inventive.

4. Broken technical chain fallacy

Dans le déroulé de ses arguments pour défendre la technicité de la production d’un itinéraire, le Demandeur semble malheureusement avoir été conduit [par ses échanges avec la Chambre de Recours] à argumenter que l’acte physique [pour l’utilisateur] de se déplacer d’un lieu à un autre était de nature technique.
La Chambre de Recours en a alors profité pour mettre un deuxième veto, dénommé « broken technical chain fallacy », selon lequel l’action d’un utilisateur en réaction à des informations ne peut être utilisée pour justifier un potentiel effet technique final dans un processus, car ce possible effet technique dépend de la réaction et des décisions de l’utilisateur (étant sous-entendu que l’utilisateur peut ne pas réagir comme attendu).
On comprend qu’il est dangereux de défendre la technicité d’une invention en se basant sur une action de l’utilisateur ; peut-être eût-il mieux valu défendre la technicité de la génération d’un itinéraire en se concentrant sur le traitement et l’organisation des données physiques, telles que la localisation et la distance entre les magasins précédemment sélectionnés, et ne pas faire intervenir l’action de l’humain en tant qu’argument technique…
Après avoir déclaré que les caractéristiques différenciantes (i) et (ii) étaient non techniques, apparemment en sous-entendant qu’elles ne contribuaient pas à un effet technique supplémentaire, il ne restait plus à la Chambre de Recours qu’à reformuler le problème technique en incluant les aspects supposés non techniques dans la formulation même du problème technique.
Le problème technique tel que reformulé par la Chambre de Recours devient alors de modifier D1 pour implémenter un itinéraire de shopping qui inclut des commandes de différents vendeurs. Forcément, avec une telle formulation du problème technique, il ne reste plus pour l’Homme du Métier qu’une simple activité de programmation à mettre en œuvre…

5. Non-technical prejudice fallacy 

Cependant, le Demandeur a argumenté en retour sur le fait qu’en se fondant sur D1, l’Homme du Métier n’aboutirait pas à l’invention, car D1 ne permettait d’identifier qu’un seul commerçant et que si D1 était utilisé pour trouver plusieurs biens, D1 ne fonctionnerait que si la pluralité de ces biens se trouvait chez un même commerçant. Ce qui risquait soit de ne pas se produire, soit de nécessiter un long trajet pour l’utilisateur…
A cet argument, la Chambre de Recours a opposé un troisième veto, appelé « non-technical prejudice fallacy », selon lequel les raisons de ne pas modifier l’art antérieur soulevées par le Demandeur reposeraient sur des aspects non techniques.
Au-delà de la question de savoir si les arguments utilisés par le Demandeur sont réellement de nature non technique, on ne voit en fait pas pourquoi des arguments techniques seraient seuls éligibles pour démontrer l’absence d’incitation pour l’Homme du Métier à modifier l’art antérieur. Il apparaît en effet raisonnable que l’Homme du Métier, en tant qu’humain, puisse être soumis à différents types de préjugés, dont certains peuvent être non techniques comme le fait, par exemple, d’estimer qu’un même vendeur qui offrirait l’ensemble des produits voulus par un utilisateur risque, soit de ne pas exister, soit de se trouver loin de l’utilisateur…
De toute façon, la Chambre de Recours considère que la question de l’incitation n’a pas lieu d’être posée puisque les instructions de modification de l’art antérieur sont de son point de vue déjà présentes dans le problème technique (qu’elle a reformulé…). CQFD ?

6. Enseignements à en tirer

Les contre-arguments de « technical leakage fallacy », « broken technical chain fallacy » et « non-technical prejudice fallacy » étudiés ci-dessus montrent bien que, autant que faire se peut, il convient pour le Demandeur de ne pas se laisser enfermer dans des définitions trop simplifiées des caractéristiques de l’invention, qui les isoleraient les unes des autres en les privant de leurs interactions avec les autres éléments de l’invention. Autrement, ces caractéristiques risquent rapidement d’être ramenées à de simples concepts abstraits puis rangées dans la catégorie « non technique et sans contribution technique », les empêchant d’être prises en compte pour apprécier l’activité inventive.
L’exercice est toujours délicat puisque l’on peut avoir tendance à simplifier la présentation des caractéristiques de l’invention pour s’assurer de la bonne compréhension de la demande de brevet par l’Examinateur. Le risque est alors que l’Examinateur ne retienne que le niveau conceptuel des caractéristiques considérées isolément, sans revenir aux interactions des caractéristiques entre elles, alors que ces interactions pourraient révéler la contribution des caractéristiques à un effet technique supplémentaire…

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