15 Mar Pourquoi Veuve Clicquot a été sabrée par le Tribunal de l’Union européenne ?
La délicate question de la protection des couleurs à titre de marque.
Article écrit le 14 mars 2024 par Guillaume Dubard, Juriste Conseil Propriété Industrielle IPSILON
Accéder à la version pdf Protection des couleurs_Veuve Clicquot_Mars 2024
La vie d’une marque n’est pas toujours un long fleuve tranquille, et ce n’est pas le titulaire de celle portant sur la couleur orange de Veuve Clicquot qui dira le contraire. Déposée en 1998 devant l’Office de l’Union européenne de la propriété intellectuelle, il aura fallu près de 10 ans à cette marque pour être enregistrée. Puis, son titulaire a dû défendre la validité de son titre auquel il était reproché un manque de distinctivité . S’il est sorti victorieux de cette première affaire, le Tribunal de l’UE vient de lui porter un coup sévère en refusant de reconnaitre le caractère distinctif de cette marque.
Ces « péripéties » juridiques sont intrinsèquement liées à la nature de la marque : il s’agit d’une couleur.
Rappelons que la première des conditions de validité d’une marque est la distinctivité de son signe : sa capacité à être appréhendé par le consommateur comme un signe de ralliement de clientèle, reliant des produits ou des services à une entreprise donnée.
Or, comme l’a établi la Cour de Justice dès 2003 (arrêt du 6 mai 2003, Libertel, C-104/01), la chose n’est pas évidente en matière de couleur : « la perception du public n’est pas nécessairement la même dans le cas d’un signe constitué par une couleur en elle-même que dans le cas d’une marque verbale ou figurative ». Si, pour ces dernières « le public a l’habitude de [les] percevoir […] comme des signes identificateurs de l’origine du produit, il n’en va pas nécessairement de même » pour les marques de couleur. En effet, les « consommateurs n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se basant sur leur couleur ou sur celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel ».
En d’autres termes, les signes « inhabituels » telle une couleur sont moins à même d’être perçus par le consommateur comme une marque. Aussi, l’exigence relative au caractère distinctif est plus élevée.
Il a d’ailleurs été précisé, toujours dans cet arrêt Libertel, que « dans le cas d’une couleur en elle-même, l’existence d’un caractère distinctif avant tout usage ne pourrait se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles ».
Si un signe n’est pas distinctif en soit, il reste possible d’en obtenir l’enregistrement à titre de marque, ou de défendre sa validité, en démontrant que grâce à l’usage qui en a été fait, le public reconnait désormais le signe comme une marque.
En d’autres termes, un signe qui en est initialement dépourvu peut acquérir un caractère distinctif par l’usage. C’est sur ce terrain que le titulaire de la marque s’est placé pour tenter de conserver ses droits sur la couleur orange associée à des vins de champagne. Force est de reconnaitre que cette société n’hésite pas à associer ses produits à un univers de communication sur cette couleur orange.
Toutefois, la difficulté réside dans le fait que l’acquisition du caractère distinctif d être démontré sur l’ensemble des territoires où il en est dépourvu. Rapporter la preuve d’une reconnaissance de la marque seulement pour une partie n’est pas suffisant. Or, c’est bien ce qui fait défaut au titulaire puisque le Tribunal a considéré dans son récent arrêt que l’absence de preuves directes d’acquisition du caractère distinctif en Grèce et au Portugal ne permettait pas de conclure à une acquisition du caractère distinctif sur tout le territoire pertinent.
Il s’agit là d’une illustration assez révélatrice de la difficulté d’obtenir des droits sur les signes inhabituels et ce, même au travers d’un caractère distinctif acquis par l’usage tant le niveau d’exigence de preuve peut paraître insurmontable.
Se référer à l’arrêt Libertel : ici
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