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DABUS : l’intelligence artificielle ne peut pas être désignée comme inventeur dans une demande de brevet

DABUS : l’intelligence artificielle ne peut pas être désignée comme inventeur dans une demande de brevet

L’apprentissage automatique et les réseaux de neurones artificiels constituent l’un des développements phare de ces dernières années dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC). Or l’intelligence artificielle (IA) n’est pas sans incidence sur le droit de la propriété intellectuelle.

Les décisions J 8/20 et J 9/20

Le 21 décembre 2021, dans le cadre d’une procédure commune aux affaires J 8/20 et J 9/20, la Chambre de Recours juridique de l’Office Européen des Brevets (O.E.B.) a confirmé qu’en vertu de la Convention sur le Brevet Européen, un inventeur désigné dans une demande de brevet européen doit être un être humain.

La Chambre de Recours juridique a en cela confirmé les décisions du 27 janvier 2020 de la Section de Dépôt de l’O.E.B. de rejeter les demandes de brevet européen publiées sous les numéros 3 564 144 (portant sur un récipient alimentaire aux propriétés d’adhérence et de transfert de chaleur améliorées) et 3 563 896 (portant sur un système de flash lumineux pour les situations d’urgence), dans lesquelles l’inventeur désigné était un système d’IA appelé DABUS (pour « Device for the Autonomous Bootstrapping of Unified Sentience », « Dispositif pour l’amorçage autonome d’une connaissance unifiée »).

La Chambre de Recours juridique a également refusé la requête subsidiaire du déposant, Stephen L. THALER, PDG de la société IMAGINATION ENGINES, qui argumentait qu’aucune personne n’avait été identifiée comme étant inventeur, mais qu’une personne physique avait simplement été indiquée comme ayant « le droit au brevet européen du fait qu’elle était le propriétaire et créateur » du système d’IA DABUS.

Que dit la Convention sur le Brevet Européen ?

L’article 81 dispose que la demande de brevet européen doit désigner l’inventeur. Dans sa deuxième phrase, l’article 81 précise que si le demandeur n’est pas l’inventeur ou l’unique inventeur, cette désignation doit comporter une déclaration indiquant l’origine de l’acquisition du droit au brevet européen.

Par ailleurs, l’article 60(1) stipule que le droit à un brevet européen appartient à l’inventeur ou à son ayant cause.

Enfin, la règle 19(1) indique que la désignation de l’inventeur doit être effectuée dans la requête en délivrance du brevet européen et que si le demandeur n’est pas l’inventeur ou l’unique inventeur, la désignation doit être effectuée dans un document produit séparément. Elle doit comporter le nom, les prénoms et l’adresse complète de l’inventeur, la déclaration visée à l’article 81 et la signature du demandeur ou celle de son mandataire.

La désignation de l’inventeur est donc une exigence formelle qui doit être satisfaite conformément à l’article 81 et la règle 19(1). La vérification de la satisfaction de cette exigence formelle a lieu avant l’examen quant au fond et est indépendante de celui-ci. Elle n’implique aucune prise en considération du caractère brevetable ou non de l’invention.

Question débattue

THALER a déposé ses demandes de brevet sans désigner d’inventeur.

Une notification a alors été émise par l’O.E.B. pour l’inviter à remédier à cette irrégularité en lui signalant qu’il avait un délai de 16 mois pour déposer un document contenant cette désignation comme exigé par l’article 81 et la règle 19(1).

En réponse, le déposant a désigné comme inventeur la machine DABUS.

Dans les affaires J 8/20 et J 9/20, la question s’est posée de savoir si le demandeur pouvait désigner comme inventeur une machine d’IA qui n’avait pas de personnalité (ou capacité) juridique.

Le demandeur présentait comme argument le fait que les inventions objet des demandes de brevet avaient été créées de façon autonome par DABUS.

Raisonnement de l’O.E.B.

Dans sa décision de rejet des deux demandes de brevet, la Section de Dépôt de l’O.E.B. a considéré que la désignation d’inventeur soumise par le déposant n’était pas cohérente avec l’article 81 pour deux raisons.

Premièrement, elle a conclu que seul un inventeur humain pouvait être un inventeur au sens de la Convention sur le Brevet Européen. Par conséquent, le fait de désigner une machine comme inventeur ne satisfaisait pas les exigences de l’article 81 et de la règle 19(1).

Deuxièmement, selon la Section de Dépôt, une machine ne pouvait pas jouir de droits ni, a fortiori, les transférer au déposant. Ainsi, l’affirmation du déposant selon laquelle il était ayant cause parce qu’il était le propriétaire de la machine ne satisfaisait pas les exigences de l’article 81 ensemble l’article 60(1).

La Chambre de Recours a rejeté le recours formé par le déposant et, lors de la procédure orale commune qui s’est tenue le 21 décembre 2021 pour les deux affaires, a fourni en substance le raisonnement suivant :

– Conformément à la Convention sur le Brevet Européen, l’inventeur doit être une personne ayant une capacité juridique.

– Une déclaration indiquant l’origine du droit au brevet européen selon l’article 81, deuxième phrase doit être en conformité avec l’article 60(1).

– L’O.E.B. est compétent pour déterminer si une telle déclaration correspond à une situation qui est couverte par l’article 60(1).

Epilogue

Aucune législation n’établit de fiction juridique en faveur de la personnalité juridique d’une IA. Ainsi, alors que la désignation de l’inventeur vise à protéger les droits qu’il détient en cette qualité, une machine ne saurait s’en prévaloir. La circonstance que le propriétaire d’un bien puisse être propriétaire des fruits produits par ce dernier est indépendante de la question de savoir si cette machine peut être désignée comme inventeur et si elle peut jouir et disposer des droits attachés à ce statut.

Par ces deux décisions, la Chambre de Recours juridique s’oppose à ce qu’une IA soit désignée comme inventeur. Elle soulève des enjeux éthiques et économiques considérables. En parallèle à la question de la reconnaissance d’une machine comme inventeur jouissant d’un droit au brevet, on aurait pu explorer la voie de la désignation en tant qu’inventeur du programmateur, du propriétaire ou encore de la personne qui a fait fonctionner la machine, ce que le demandeur se refusait à faire en l’espèce.

Par ailleurs, si l’IA devait un jour être douée de conscience et capable de contrôle conscient, se poserait à nouveau la question de l’assimilation à une personne et, le cas échéant, de la création d’une personnalité électronique…

Et ailleurs ?

Certains Etats franchissent déjà le pas : la Cour fédérale australienne a infirmé une décision de l’Office australien des brevets qui avait rejeté la demande de brevet « DABUS » au motif qu’un système d’IA ne pouvait être désigné comme inventeur.

A la différence de la Chambre de Recours juridique de l’O.E.B., la Cour fédérale australienne a en effet considéré que l’inventeur pouvait être non-humain.

En Australie, la loi sur les brevets ne contient aucune disposition niant expressément la possibilité pour un système d’IA d’être l’inventeur. Le juge australien précise que rien en droit des brevets ne conduit à interpréter la loi comme excluant les inventeurs non-humains, à l’inverse du droit d’auteur qui requiert qu’un auteur soit une personne. Le terme « inventeur » n’est pas défini dans la loi, ni dans les dispositions réglementaires australiennes ; il doit donc être interprété dans son sens courant.

Néanmoins, le juge australien a prudemment précisé que cet inventeur non-humain ne pouvait être ni le déposant de la demande, ni le titulaire du brevet.

La position de la Cour australienne est contraire, non seulement à celle de l’O.E.B., mais également à celle des Offices américain, britannique et taïwanais.

En effet, l’Office américain exige que l’inventeur soit une personne physique. S. THALER avait indiqué comme désignation de l’inventeur « DABUS » et « invention générée par IA ». Invité par l’Examinateur à la modifier, il ne l’a pas fait. Ses demandes de brevet américain ont alors été rejetées.

Interprétant les termes utilisés dans la loi sur les brevets, le tribunal du district Est de Virginie a écarté la possibilité de désigner un système d’IA comme inventeur en soulignant notamment que, la définition légale de l’inventeur utilisant le terme « individual » (« individu »), un inventeur ne pouvait être qu’une personne physique, cf. 35 U.S.C. §100 de la loi américaine sur les brevets : « The term « inventor » means the individual […] who invented or discovered the subject-matter of the invention » (« On entend par « inventeur » l’individu […] qui a inventé ou découvert l’objet de l’invention »).

Au Royaume-Uni, la High Court (England & Wales) puis la Court of Appeal (England & Wales) ont confirmé la décision de l’Office britannique selon laquelle, en vertu de la loi sur les brevets et quelle que soit la définition du terme « inventeur », un brevet ne pouvait être délivré qu’à une personne.

De même, à Taïwan, le tribunal du commerce et de la propriété intellectuelle a confirmé la décision de l’Office taïwanais de la propriété intellectuelle de rejeter la demande de brevet de S. THALER, au motif qu’un inventeur devait être un être humain selon les directives d’examen. Le tribunal a également rappelé l’intention du législateur, qui, par le système des brevets, est d’encourager et de protéger les fruits de l’activité mentale humaine.

En revanche, de même qu’en Australie, l’Office sud-africain des brevets a accepté qu’une IA soit désignée comme inventeur.

Certains experts estiment que les positions de ces deux Offices relancent le débat concernant la capacité du droit des brevets à s’adapter à l’innovation en matière d’IA, le législateur pouvant être tenté d’envisager un nouveau type de droit de propriété intellectuelle, qui viendrait en complément du système des brevets et censé faciliter le développement de l’IA.

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